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De l'écriture inclusive
 
 
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Dire que les femmes en France n'ont obtenu le droit de vote qu'en 1944 ! En Espagne, ce fut 1931. Ces dates sont bien tardives, mais elles sont aussi déjà bien loin derrière nous. La lutte des femmes pour l'égalité continue cependant car « l'égalité des sexes » est encore bien loin d'être acquise dans la vie quotidienne.

 

 

Du point de vue de la langue, on sait aussi par exemple en grammaire classique que « le masculin l'emporte sur le féminin », mais les choses sont en train de changer...


De nos jours, on entend parler et on parle de plus en plus de langage neutre, de langage épicène et de langage inclusif, mais c'est bien l'expression écriture inclusive qui arrive largement en tête dans nos différents petits sondages sur Internet. (En ce qui concerne d'ailleurs nos « Statistiques lexicales », voir ici).

Dans Wikipédia, on nous apprend que « le langage épicène, la rédaction épicène, le langage neutre, l'écriture inclusive ou le langage dit "non sexiste" ou "dégenré" sont un ensemble de règles et de pratiques qui cherchent à éviter toute discrimination supposée par le langage ou l'écriture. Cela se fait à travers le choix des mots, la syntaxe, la grammaire ou la typographie. »

Autre extrait (de la même encyclopédie en ligne) que nous avons adapté pour les besoins de cette chronique : « on dit qu'une expression est épicène si elle s'applique indifféremment à une personne masculine ou féminine. Par exemple, le terme secrétaire est épicène ; à l'autre extrême, madame le Président est littéralement sexiste ou plutôt genriste : président est un statut normalement réservé aux hommes. Un style épicène tend à éviter une discrimination forcée - par les normes imposées de la langue - entre les genres masculin et féminin. Ce style inclut la féminisation des titres, les dénominations neutres, et une désignation correcte des personnes transgenres. Quant à l'écriture inclusive, sa portée est plus large : outre le genre, elle vise aussi à éviter d'autres discriminations liées au handicap, à l'âge et à l'origine ethnique ».


Comme on peut facilement par ailleurs l'imaginer, l'accueil réservé au langage épicène et à l'écriture inclusive est très variable en fonction des langues et des pays. Au Québec comme en Suisse par exemple, la rédaction épicène est recommandée depuis 1979. En France, comme nous aurons l'occasion de le revoir, le langage épicène suscite des critiques et une opposition de longue date de l'Académie Française.


Sur les pages en espagnol, le terme epiceno (pour fr. épicène) est pratiquement absent et l'on parle plutôt de escritura inclusiva, de lenguaje no sexista et surtout de lenguaje inclusivo.

La lutte pour le lenguaje inclusivo est la lutte pour un usage plus juste, moins violent, c'est-à-dire un langage qui ne soit utilisé contre personne comme « arme » d'exclusion et d'oppression dans la société. Il faudrait essayer d'utiliser un langage moins machiste et masculiniste en neutralisant l'emploi du masculin singulier pour le remplacer par d'autres expressions...

En Espagne comme en France, le langage est en train de changer avec la démocratisation de la vie sociale et les changements observables sont le fruit des notions de liberté, de solidarité et de justice. Dans la société espagnole comme dans beaucoup d'autres, l'accès des femmes à différents postes qui jadis étaient strictement réservés aux hommes a un impact direct et inévitable sur le langage, que cela plaise ou non.

Le langage s'adapte à cette nouvelle situation, s'enrichit des avancées sociales et cela se manifeste par exemple dans l'inclusion des féminins singuliers. Au début des années 90, il était encore risible de dire abogada, profesora, doctora, presidenta, ministra, jefa, jueza, cartera, licenciada, catedrática, investigadora... Aujourd'hui, ce qui serait risible ou triste (selon le contexte), ce serait d'entendre qu'une avocate s'appelle elle-même abogado (au lieu d'abogada, bien entendu) ou qu'une licenciée remplisse sans broncher (parce que ce serait sans importance ?) un document officiel où il y aurait : licenciado, au lieu, par exemple, de licenciatura, ou licenciado/a, comme il est d'ailleurs désormais préconisé dans les textes de lois ainsi que tous les documents officiels.

Ces transformations dans l'usage des mots pour les adapter à une perception plus démocratique ou inclusive de la structure sociale auront lieu inévitablement, même si certaines personnes restent nerveuses ou réticentes à ce sujet en continuant à se moquer dans les médias ou en donnant des "consignes" qui ne sont pas sans rappeler celles du franquisme pour éviter que les documents officiels soient rédigés correctement, c'est-à-dire en incluant des tournures non "masculinistes", telles celles déjà citées ou, par exemple población refugiada au lieu de los refugiados, ou encore, comme on le voit désormais souvent, l'emploi des terminaisons en -o/a ou -a/o (alumno/a, candidata/o, etc.), las refugiadas y los refugiados, las y los profesores, etc.


Si les terminaisons en -o/a ou -a/o de l'espagnol semblent ne pas trop poser de problème dans les mentalités, il en va autrement lorsqu'il s'agit de l'écriture inclusive en français. Même les journaux espagnols se sont emparés de l'affaire, en titrant par exemple ici dans le célèbre quotidien El País El “peligro mortal” de la gramática feminista en parlant de la situation en France. Il paraîtrait même que l'appellation "danger mortel" émane de l'Académie Française elle-même.

L’écriture inclusive, c’est "pourtant" l’écriture pour tous. D’après un sondage, 75% des Français seraient pour. Mais seulement 12% seraient capables de dire ce que c’est… Petite tentative d'explication ou (du moins) d'exemplification : Les instituteur·rice·s conseillent à leurs nouveau·elle·x·s élèves d’être travailleur·euse·s (séquence extraite de « L’écriture inclusive pour les malcomprenant·e·s sexistes comme vous et moi », à lire ici si cela vous tente). La "nouvelle orthographe" officiellement préconisée ne serait-elle pas un peu... lourde ? Voire illisible ? Voyons à ce sujet ce qu'en a pensé la journaliste (Catherine Kintzler, femme donc) qui a signé l'article en question : « Inutile de préciser que, d’ordinaire excellente dactylo en écriture "normale" (oops, pardon, en écriture macho), j’ai mis pas mal de temps à taper la séquence. J’excepte bien sûr le temps passé à trouver le code pour obtenir le "point milieu"... ». Sur ce dernier point (milieu, comme entre deux "l" en catalan, dans un mot choisi au hasard comme il·lògic), qu'on se rassure puisque, paraît-il, nos claviers en seront bientôt équipés. N’empêche que (comme ajoute Catherine Kintzler), « même avec cette touche supplémentaire, il va falloir acquérir d’autres automatismes de frappe ».

« Revenons à notre séquence. Une partie se déchiffre en lecture alphabétique (en voyant ce qui est écrit, on sait quels sons on doit émettre) mais une autre partie ne peut pas se lire ainsi. En effet, dès qu’un terme contient un ou plusieurs "points milieu", il faut repérer les lettres à déplacer pour les coller à un radical commun qu’il faut isoler mentalement, puis ajouter les éventuelles marques du pluriel qui sont à coller aux mots déjà obtenus, toutes opérations d’autant plus difficiles qu’elles ne se présentent pas séquentiellement. Il n’y a plus de principe homogène de lecture. »


Comme on peut le voir rien qu'avec la phrase en "néofrançais" prise comme modèle ci-dessus, il faut apparemment dire ce que l'on voit à certains moments, tandis qu'à d'autres il faut dire ce qui n’est pas écrit et recourir à une interprétation qui « transcende la littéralité » (sic).

Outre le "problème" du "point milieu" qui va venir se rajouter à notre orthographe déjà si compliquée, je trouve personnellement que la suite nouveau·elle·x·s élèves est particulièrement difficile à lire, à tel point que j'ai mis un moment avant de comprendre ce que le x venait faire là. Que les choses soient tout de même claires : je suis pour l'égalité des sexes et des genres, mais de là à accepter de lire sans tiquer (et pire... d'écrire) ce genre de « charabia inclusif », il va (me) falloir encore du temps... à moins que l'on trouve une solution alternative.


Je viens de (re)voir enfin que le "x" dont il vient d'être question sert, en écriture inclusive espagnole, à marquer le genre neutre (ou épicène). Par exemple : ciudadanxs englobe ciudadanas et ciudadanos. Certaines personnes écrivent aussi dans la même optique "bisexuelle" : ciudadan@s, le signe de l'arobase présentant l'avantage en espagnol de ressembler à un a et à un o entremêlés, ce qui n'a rien de très pertinent en français.

Bref, sans vouloir verser plus d'huile sur le feu qu'il y en a déjà, je trouve personnellement l'écriture inclusive parfois indigeste (surtout en français), mais je n'ai malheureusement pas d'autre alternative à proposer pour le moment. J'espère en tout cas que dans un proche avenir nous aurons mieux que cela et, en attendant, que chaque "clan" modère un peu plus ses propos et ses prises de positions parfois exagérées, caricaturales, voire nauséabondes.


Jean-Louis BARREAU, le 29 novembre 2018


 

 

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